épave
Ce visage croisé au hasard d’une rue,
Il dut appartenir à celui d’une femme,
Bien avant qu’il ne soit ravagé par l’alcool,
Cet ami impuissant contre la solitude.
Alors qu’elle abordait pour une cigarette
Un passant généreux qui la lui alluma,
Je vis soudain ce corps qui paraissait brisé,
De sa féminité en retrouver la grâce.
J’ai pensé qu’elle avait, comme toutes les autres,
Elle aussi, pour un temps, été petite fille
Chantant tout en jouant à la corde à sauter
« Le Palais Royal est un beau quartier »
Dans ses yeux on lisait une intense détresse,
De celle qu’on ne peut partager avec d’autres.
A force de durer, la peine fossilise,
Le cœur se fait caillou et l’on ne souffre plus.
Cette rencontre-là date de ma jeunesse.
Depuis, j’ai remonté des foules inconnues
Mais j’ai gardé en moi sans comprendre pourquoi
Le souvenir gravé de cette pauvre épave.
Pierre SELOS