être en manque

   

      A Paris, s’est tenue récemment, salle Wagram, une compétition internationale de jeux de guerre.

     Tous ces jeux de guerre, (informations diffusées par Philippe CHAPEAU)  à jouer sur console ou sur ordinateur, mettent en scène des violations des droits de l’homme. Prenons le récent Call of Duty 6 Modern Warfare et la scène intitulée Civilians slaughter (massacre de civils) : le joueur et ses équipiers font irruption dans un hall d’aérogare russe et doivent y massacrer des voyageurs désarmés. Inacceptable selon le droit international humanitaire (DIH) !

     « Ce n’est qu’un jeu« , répliquent concepteurs et joueurs. On ne peut donc que leur conseiller la lecture des règles de base du droit international humanitaire et, en particulier, des quatre Conventions de Genève de 1949 (et leur fameux article 3), de l’article 48 du Protocole additionnel de 1977 (Protocole 1), de l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme… Ces textes sont sur Internet, tout comme une excellente étude intitulée Playing by the Rules : Applying International Humanitarian Law to Video and Computer Games.

     Cette étude a été supervisée par le professeur Marco Sassoli, de l’université de Genève, et rédigée par Frida Castillo, pour le compte de deux ONG suisses, Pro Juventute et Trial. Elle confirme que certains jeux « incitent leurs utilisateurs à faire preuve de violence virtuelle ». Et qu’ils ne sanctionnent ni les attaques contre les civils ni la destruction des biens protégés, comme les églises, les mosquées et (complété par mes soins) les synagogues.

     D’autres jeux encouragent le recours à la torture lors de séances d’interrogatoire, le massacre de soldats qui se rendent, l’utilisation de mercenaires. « Les jeux de guerre devraient suivre les mêmes normes et « valeurs » que les vrais conflits armés : celles fixées par le droit humanitaire international. Ce dernier condamne les actes de violence inadmissibles et protège la dignité des groupes de personnes particulièrement menacés. »

     Certes, tous les jeux de guerre ne tombent pas dans les mêmes travers. Close Combat : First to fight constitue, par exemple, une exception puisque le joueur est pénalisé en cas de violation du DIH. Il n’en reste pas moins que la tendance est à l’impunité.

     Au lieu de ne recourir qu’à l’expertise d’anciens militaires américains, vétérans d’Irak ou d’Afghanistan, les concepteurs de jeux seraient bien inspirés de travailler avec le Comité international de la Croix-Rouge, l’Institut international de droit humanitaire de San Remo, ou des ONG comme Crisis Group, et d’introduire des paramètres éthiques, facteurs de complexité morale mais aussi ludique.

     Pour des cerveaux fragiles, la frontière entre la fiction et la réalité est caractérisée par une porosité qui permet des allers-retours entre les deux mondes. Par chance, en Europe, les armes ne sont pas en vente libre. Pour combien de temps ? Le fait qu’on puisse se procurer facilement, dans certaines banlieues, des armes de guerre, a permis à des fanatiques les récentes tueries ayant défrayé la chronique. Ces armes, d’où viennent-elles ? En premier lieu, des Balkans, lors de la désagrégation de l’état yougoslave, et en second, des multiples conflits en cours au Moyen-Orient.

     Est-il possible de faire pièce à la violence véhiculée par les supports numériques ?

     L’école et les réseaux socio-éducatifs devraient conjuguer leurs efforts pour agir en ce sens. Si je n’en ai pas appelé à la famille, c’est que celle-ci achète sa paix domestique en renonçant à tous ses devoirs. Smartphones, ipads, tablettes et ordinateurs portables, dès le plus jeune âge, ainsi que les programmes auxquels ils donnent accès et qui constituent l’essentiel de leurs loisirs.

     L’enfant qui n’en possèderait pas, passerait aux yeux de ses pairs pour un marginal attardé. C’est le même phénomène quant à l’addiction aux marques. Les parents remplacent à bon compte les trop rares moments d’affection qu’ils lui consacrent par une débauche de cadeaux. Le jour anniversaire ou celui de Noël s’en trouvent banalisés.

     Pour toutes ces causes-là, le livre lui est aussi étranger qu’un couteau trouvé, dans sa gamelle, par une poule.

Pierre SELOS